Journal de confinement.
23/03/2020
Nous sommes lundi 23 mars 2020.
Depuis une semaine, les écoles de
France sont fermées. La raison : le COVID19.
Ce virus apparu en Chine en fin d’année
dernière et qui tue chaque jour davantage de monde.
Un tout petit virus,
microscopique, qui met en vrac le monde entier depuis plusieurs semaines. Qu’on
associait à une « petite gripette » seulement dangereuse « pour
les personnes fragiles »…
Puis les chiffres ont commencé à
grimper… et les personnes touchées à être de moins en moins des « fragiles ».
Depuis plusieurs semaines, en France,
on débat sur l’éventualité que ce virus se propage en France. Devions-nous
fermer les frontières ? Car, le « virus n’a pas de passeport »….
Mais le virus ne voyage pas tout seul, ils transitent par les humains qui eux…
ont des passeports…
Bref.
On aime ça, en France, le débat.
On aime discuter, argumenter, avoir l’air brillant, amenant des chiffres, des
études, des analyses pour appuyer une théorie. Et la semaine suivante, en
fonction du sens du vent, on viendra défendre la thèse opposée. Avec autant de
chiffres, d’analyses, pour avoir l’air brillant. Encore. Partout. Sur les
réseaux sociaux, sur les plateaux télés, dans la presse écrite.
Et les chiffres continuent à
grimper…
Depuis lundi 16 mars 2020, lundi
dernier, la réalité nous a rattrapés.
Tous.
Sans distinction d’âge (ou très
peu), de fortune, de religion, de sexe, de niveau d’études, de métiers, de
passions, de situation maritale, d’orientation sexuelle… bref, ce virus frappe
aveuglément.
Notre président a dit : « nous
sommes en guerre ».
A bientôt 38 ans, mariée, mère de
deux enfants, parisienne, pour la première fois de ma vie : je suis en
guerre.
Une vraie. Pas une de ces guerres
où on se bat contre une idéologie en buvant des coups en terrasse et en continuant
à aller à des concerts de rock.
Non.
Une guerre où je ne vois plus mes
parents, mes sœurs, mes amis.
Où, mes filles et moi sommes
confinées à la maison toute la journée, pendant que mon mari travaille. Car il
est de ces rares métiers où on travaille encore.
Nous le voyons partir chaque jour,
et rentrer chaque soir.
Avec la crainte qu’il amène sans le
vouloir cet ennemi invisible à la maison.
Nous sommes confinées.
Drôle de guerre où ce qu’on nous
demande c’est de rester chez nous, avec les personnes que nous sommes supposées
aimer le plus au monde.
Où tout ce que nous devons faire
c’est télé travailler, quand c’est possible. Faire l’école à la maison pour ses
enfants, cuisiner, faire du sport chez soi, faire des masques à l’argile, poser
des crèmes de soins sur ses cheveux.
Drôle de guerre. Si drôle que
certains la prennent à la légère. Et continuent à abuser des autorisations de
sorties pour aller à la pharmacie, chez le boulanger, faire un footing… Et
recommencent. Parce qu’ils ne peuvent renoncer à leur sacro-sainte liberté.
Ah la liberté en France, c’est
comme les débats. On adore ça.
On l’adore tellement qu’on en a
fait une devise. « Liberté, égalité, fraternité ».
Liberté.
Celle à laquelle nous devons
renoncer. Temporairement. Dans le simple but de ralentir la propagation
délirante de ce virus.
Et pourtant, certains s’insurgent.
En plus, « avec ce si beau
soleil de printemps ». Et puis, « vous comprenez, je respecte les
distance de sécurité, alors ça va ».
Je ne sais pas si ça va.
Mais je sais que pendant que je
me pose la question, la sœur jumelle de ma copine Iza, infirmière, est sur le
front. Elle n’a pas le temps de se poser la question. Elle aime bien les
ballades sous le soleil de printemps, j’en suis certaine. Leur frère, médecin,
aussi j’en suis certaine.
Mais eux, leur problème principal
c’est comment ils vont soigner les « plus fragiles » dont le nombre
augmente chaque jour…
Egalité.
Ça aussi. On l’entend, on le lit.
Et s’il y a un truc que ce virus a compris : c’est ça. Il traite tout le
monde de la même façon. Il se fiche de notre sexe, notre couleur de peau. Il se
fiche de savoir si vous êtes riche,
pauvre, cultivé et même pour qui vous votez.
C’est rare de voir autant d’équilibre.
Pourtant même ce micro-virus a
réussi à faire ce que des siècles de démocratie n’ont jamais vraiment réussi à
mettre en place.
Pire : il privilégie les
plus fragiles, pas le plus forts.
Fou.
Fraternité.
C’est précisément ce qui nous
manque. La fraternité à l’endroit de ceux qui se battent. Pas des militaires.
Des médecins, infirmiers, aides-soignants…
munis de blouses, des gants et de masques (pour le plus chanceux). Ceux qui
nous supplient de rester chez nous et tremblent chaque fois qu’ils montent dans
leur voiture pour aller au combat.
Eux qui ne voient pas leurs
enfants, conjoints pour les préserver, quand nous nous plaignons de devoir être
« enfermés » à la maison avec tout ce beau monde.
Eux qui tombent malades, ou
voient leurs collègues tomber malades. Eux qui ne comptent plus leurs heures,
qui ne mangent plus vraiment. Et qui craignent de devoir faire des choix. Des choix
comme en Italie où on doit « choisir » qui soigner.
Ils repensent brièvement aux
raisons pour lesquelles ils ont choisi ce métier.
Et c’est ce qui les accrochent à
la vie chaque matin.
Quand tout le reste de la
population doit juste « tenir » une journée à la maison, certes, à
jongler, (mais entre devoirs et exercices de sport à la télé, on a vu pire), eux
se lèvent et retournent au combat. Sans embrasser leurs enfants.
Ils accompagnent quotidiennement
des gens « fragiles » qui n’auront pas la chance de sentir à nouveau
le soleil sur leur peau. Ces gens qui partiront, intubés, sans avoir la chance
de croiser le regard de leurs conjoints une dernière fois. Qui n’auront pas un
enterrement digne de ce nom, car c’est à présent interdit.
La fraternité dont nous avons
besoin, c’est pour eux.
Comment nous pouvons l’exprimer :
en restant chez nous. Vraiment.
J’aurais pu écrire sur la
difficulté d’être chez soi avec deux enfants de 4 et 8 ans. La difficulté de
jongler avec les réunions de travail au téléphone, les devoirs à faire.
J’aurais pu parler de la peur que
je ressens. La peur d’être malade, que les gens que j’aime le soient. La peur
que ceux que je sais malades souffrent.
Toutes ces choses assez communes
et partagées par nous tous.
Oui, comme je m’en doutais c’est
dur. J’ai peur de devenir dingue, d’en vouloir à mes enfants où qu’ils m’en veuillent.
J’ai peur de détester mon mari et inversement.
Ces peurs me réveillent la nuit.
Mais elles n’ont rien d’original.
Elles sont celles du moment.
Elles vont durer.
Ce qui ne durera pas en revanche,
c’est l’énergie de nos équipes soignantes. C’est leur santé. Mais si on adoucit
cette putain de propagation en restant chez nous, c’est eux que l’on préserve.
Nos vies et les leurs.
#restonscheznous.
Vassilia
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