dimanche 15 novembre 2015

Monsieur le Président de la République


Monsieur le Président de la République,
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N'ayez crainte, je ne vous écris pas pour vous taper dessus, même virtuellement.
Mon dernier article ici relate le concert d'un groupe que j'aime par dessus tout, au Bataclan, le 4 Novembre 2015. 
Soit 9 jours avant le 13.
J'y ai raconté mon enthousiasme les jours précédents le concert, le plaisir de les entendre, de les voir.
La gentillesse de l'équipe de sécurité de la salle qui m'a permis de ne pas attendre debout dans mon état.
Je suis enceinte de 6 mois et demis. Une deuxième petite fille.

Alors, ça fait deux jours, deux nuits, que je lis, que je regarde les informations.
Vendredi je n'étais pas à Paris.
Je suis allée dans le Sud, à Nice, passer le week-end avec une amie.
Un week-end de filles. Sans enfant. 
Voué uniquement au plaisir d'échanger sans fin, de flâner, de lui remonter le moral parce qu'elle traverse des jours difficiles, de faire du shopping, de bruncher, de prendre le soleil.

Nous dînions dans le vieux Nice, dans un charmant petit restaurant, quand mon amie a reçu une alerte info du Figaro.
Une fusillade avait éclaté à Paris.
Exactement comme le 11 septembre 2001, l'incrédulité fut mon premier sentiment.
Dans ma tête, les premières théories : peut-être un réglement de compte?
Puis, comme à mon habitude, j'ai scruté les réseaux sociaux.
Twitter, Facebook passés au peigne fin.

Le bataclan est touché.
Une prise d'otages.
Le carnage.

Nous avons quitté bien vite notre charmant petit restaurant, pour nous planter devant les chaînes d'informations en continu.
Gardant une main sur le téléphone, avec ce geste de faire glisser vers le bas pour actualiser le fil.
Quelques échanges avec mon mari, à Paris, qui gardait notre fille de 4 ans.
Ma fille, mon mari, mes parents, mes sœurs, mes amis...
Ils sont tous à Paris.
Une vague de stress monte. 
Ma sœur. Il lui arrive de sortir le vendredi soir.
D'un sms je m'assure qu'elle a fait une exception.
Elle n'a pas bougé.
Une de ses meilleures amies d'enfance vit près du bataclan il me semble.
Un autre sms pour vérifier. Elle est chez elle.
Mon meilleur ami, niçois d'origine qui vit à République : où est-il?
Chez son frère.
En sécurité.
Petit à petit, je reprends mon souffle, et voit défiler le nombre de morts, et de blessés. Dont ceux dans un état grave.

D'un coup, je prend conscience que mes sœurs, des amis et moi-même étions dans cette salle, neuf jours avant.
Pour faire la même chose que ces spectateurs : voir un concert.
Je connais cette salle. J'y suis allée plusieurs fois.
Alors je sais dans quel piège ils sont.


Monsieur le Président de la République, je vous ai écouté ce soir là.
Nombreux ont été ceux qui vont ont critiqué, pour avoir pris la parole après le Président Américain.
Sans doute trop habitués à l'instantanéité, vos détracteurs, même dans ce moment de drame, n'ont pas eu conscience de la nécessité d'analyser.
De la nécessité de ne parler qu'une fois certain.
Je vais être franche avec vous : j'ai voté pour l'opposition , en 2012.
Et ceux qui me connaissent ont l'habitude de lire des statuts Facebook peu tendre à l'égard de votre gouvernement. 
Mais, ce n'est pas ce qui m'importe ce soir.
Je voulais vous demander quelque chose.
Je vous ai écouté, vendredi, avant le conseil des ministres exceptionnel.
Et j'ai lu la gravité, l'inquiétude sur votre visage.
Alors, j'ai eu peur.
Encore plus peur.
Vous voyez, je ne suis pas de celles et ceux qui considèrent les hommes et femmes du gouvernement comme seuls responsables de cette situation.
J'ai bien conscience que vous n'êtes pas des super héros.
J'ai bien conscience également de ce qu'ont du être les minutes où vous avez compris. Où il a fallu décider quoi dire, comment le dire.
Quand j'ai vu votre visage fermé, tendu, j'ai eu peur.
Très peur.
Et depuis deux jours, ça tourne en boucle dans ma tête.
Il y a ce que le gouvernement, les différents chefs de partis proposent.
Les mesures que l'on devrait appliquer.
Puis il y a nous. Les citoyens.
Kennedy a dit lors de son discours d'investiture en 1961 " Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais bien que ce vous pouvez faire pour votre pays".
C'est d'ailleurs une des citations préférées de mon mari.

Alors, Monsieur le Président de la République, je vous pose la question : 
Que pouvons-nous faire?
Que puis-je faire?
Moi, simple citoyenne  française de 33 ans, active, mariée, mère d'une petite fille de 4 ans, enceinte de 6 mois et demis, votant plutôt à droite (un peu désabusée de la politique ces derniers temps, mais ça c'est un autre débat), aimant le rock, bien manger, ne buvant pas d'alcool (sauf si tremper les lèvres dans du champagne rosé compte), titulaire du permis B, et à priori inconnue des services de polices.
Que puis-je faire?
Que dois-je faire?
Je ne peux pas tout attendre de vous, pour nous protéger ma famille et moi.
Les super héros sont légions au cinéma, mais vous n'êtes que des hommes.

Depuis deux jours, je lis de tout.
Je relaie les recherches de personnes disparues qui se transforment en avis de décès.
Je commente, ça et là, les statuts de copains qui ont perdu des copains.
Je lis la colère et l'incompréhension. 
Je relaie le messages de ces musulmans que je ne connais pas mais qui expriment leur effroi, leur volonté farouche de dire "non, ces terroristes n'agissent pas au nom de ma religion", "non, nous ne pouvons pas tout mettre sur le compte de la misère sociale".
Je relaie le messages des autres qui appellent à ne pas se détester.

Et j'ai attendu 48 heures avant d'écrire.
Je suis habituellement plus rapide. Mais là, je ne pouvais pas.

Déjà, j'avais besoin d'être à nouveau prés des miens. D'embrasser mon mari, de serrer ma fille dans mes bras, de la regarder bouger, de l'entendre me parler pour la énième fois de la Reine des Neiges.
J'avais besoin de couper la télé, facebook, twitter, pour réfléchir.

Penser à ces familles dont la vie sera désormais rythmée par ça. Par le avant et le après.

De repenser à ces femmes qui ont perdu leur mari, ces enfants qui ont perdu leur maman...

Par dessus tout, je pense que ce qui nous effraie c'est l'aveuglement du geste.
C'est l'impossibilité de prévoir, de se protéger.
C'est en partie pour ça que je vous demandais ce que nous pouvions faire.

La loi sur le renseignement a fait bondir certains acteurs du numérique : "comment protéger notre vie privée?"
Je vais vous dire, Monsieur le Président de la République, la notion de vie privée sur Internet a quand même gentiment volé en éclat le jour où des millions d'internautes ont ouvert un compte Facebook.
Il n'en reste pas moins que si cette loi, ou d'autres peuvent permettre d'anticiper, et de nous protéger : qu'elle le fasse.
Puisque la guerre se fait aussi sur Internet. 
Puisque les kamikazes qui tuent aveuglément se font recrutés sur les réseaux sociaux.
Pourrait-on demander aux dirigeants de ces mêmes réseaux sociaux de vous fournir les IP, les noms ou que sais-je des gérants de pages incitant au terrorisme? Est-ce faisable techniquement?

Je cherche dans tous les sens parce que je tremble à l'idée d'envoyer ma fille à l'école.
Cette peur ne date malheureusement pas de vendredi.
Depuis des années, 20 pour être précise, j'ai cette angoisse de l'attentat.
Dans le métro à Paris ou à Londres, dans les salles de concerts, dans les centres commerciaux.
Depuis 1995, j'ai peur.
Maintenant que je suis maman, je n'ai plus peur que pour moi.

Pour en revenir au Bataclan, je crois que je ne cesserai jamais de me demander ce qui se serait pas si... Si ces 4 terroristes avaient décidé de frapper avant. 

Monsieur le Président de la République, au delà de toutes les mesures de sécurités et autre état d'urgence, dîtes moi, dîtes nous comment agir?

Je suis prête à passer sous un détecteurs de métaux à l'entrée des centres commerciaux/ lieux publics. A laisser des agents contrôler le contenu de mon sac à main. 

Je pourrais me soumettre à tous ces contrôles, si nécessaire, s"ils pouvaient nous protéger. 
S'ils pouvaient me permettre de retrouver le sommeil, et enlever ce nœud dans ma gorge.

Parce que, Monsieur le Président de la République, comme vous, j'ai le visage fermé depuis deux jours.


Vassilia


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